Pourquoi la France est maintenant sous la menace de pénuries d’électricité

Transitions & Energies

23 novembre 2020

Contrairement à ce que dit Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, la fragilité nouvelle du système électrique en France n’est pas la conséquence d’un manque d’économies d’énergie ou du trop grand poids du nucléaire. Elle est la conséquence d’une politique publique incohérente qui depuis des années consiste à remplacer des capacités de production électrique mobilisables à tout moment par d’autres intermittentes, dépendantes du niveau d’ensoleillement et de la présence de vent. Cela devient encore plus absurde quand on remplace du nucléaire, non émetteur de gaz à effet de serre, par du solaire et de l’éolien, non
émetteurs de gaz à effet de serre. Avec pour seule conséquence, de mettre à mal la sécurité d’approvisionnement électrique du pays.
Une fois encore, le fameux Etat français stratège a mené depuis plusieurs années une politique énergétique incohérente et même irresponsable. A force de réduire les capacités de production électrique dites pilotables, c’est-à-dire capables de produire à la demande, et de les remplacer par des renouvelables, par nature intermittentes, le pays n’a plus aucune marge pour faire face à une situation exceptionnelle de forte demande. La France qui était depuis des décennies un grand pays exportateur d’électricité pourrait être incapable d’assurer les besoins de sa population et de son économie en cas d’hiver rigoureux…
Et la seule parade qu’a trouvé RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, consiste à utiliser une application baptisée Ecowatt et mise au point avec l’Ademe permettant de «consommer mieux et au bon moment». En fait, si en janvier ou en février la production électrique n’est pas capable de faire face à la demande, on demandera aux industriels de fermer leurs usines et aux Français de faire baisser la puissance de leurs radiateurs électriques ou d’attendre avant de faire fonctionner leurs machines à laver. En quelque sorte, un rationnement.

Les explications douteuses de Barbara Pompili

À la fin de la semaine dernière, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a reconnu qu’il y avait un risque de coupures localisées d’électricité cet hiver en cas de «grosse vague de froid». Si le constat est malheureusement incontestable, les explications avancées pour expliquer cette situation sont en revanche douteuses. Ainsi, elle serait la conséquence,
selon la ministre, du fait que «pendant des années on n’a pas fait le travail d’économie d’énergie». Elle serait aussi la conséquence du fait que la France a «un système électrique qui est trop dépendant d’une seule énergie […] on est trop dépendant du nucléaire».
La ministre semble avoir soudain oublié que la transition énergétique et écologique, qu’elle préconise depuis des années, passe par une utilisation accrue et élargie de l’électricité… dans les transports, la chaleur et l’industrie. Donc réduire de fait les capacités de production d’électricité en les rendant intermittentes et aléatoires, c’est-à-dire imprévisibles et incontrôlables, est en contradiction avec la logique même de la transition. Cela aboutit également à fragiliser les réseaux électriques, ce dont s’inquiète ouvertement de nombreuses institutions dont l’Agence internationale de l’énergie.

La production électrique doit être à tout moment égale à la
demande

Par définition, la production électrique doit à tout instant être égale à la demande pour que le réseau soit stable. Si un déséquilibre existe, il conduit à des délestages, des coupures, à la dégradation des équipements et du réseau voire à un effondrement en chaîne de celui-ci, le fameux black-out.
L’électricité n’est pas une source d’énergie, il s’agit juste d’un moyen de la transporter et de l’utiliser. Elle a pour principaux inconvénients de perdre une partie de sa puissance quand elle est transportée sur longue distance et plus encore d’être très difficile à stocker. Les barrages remplis par des systèmes de pompage sont en fait la seule vraie méthode existante pour
stocker une quantité importante d’électricité. Les autres procédés, y compris les batteries, ne sont pas à l’échelle des besoins d’un pays, voire même d’une ville ou d’une région. Pour donner un ordre d’idées, il faudrait 1.000 années de production de la «gigafactory» de Tesla dans le Nevada, la plus grande usine de batteries au monde, pour stocker deux journées de
consommation d’électricité des Etats-Unis.
A terme, l’hydrogène vert, fabriqué par électrolyse, pourrait devenir un moyen de stocker l’électricité mais avec aujourd’hui un rendement très faible et un coût très élevé.

Depuis dix ans, la France réduit ses capacités de
production dites pilotables


Si le stockage n’est pas possible à grande échelle avant au mieux de nombreuses années, cela signifie que les capacités de production électrique doivent être capables de répondre à tout moment à la quasi-totalité de la demande. La pointe de consommation en France se situe en hiver autour de 19 heures. À cette heure là, il fait nuit en hiver et la production solaire
photovoltaïque est nulle. Si les températures sont basses du fait de la présence d’un anticyclone froid, les vents sont faibles et la production éolienne très réduite. Et comme il fait froid, la demande de chauffage électrique est importante.
Dans ce cas, les capacités de puissance théoriques additionnant les sources pilotables et renouvelables n’ont aucune importance. Depuis 2012, elles ont augmenté en France et sont passées de 126 GW à 133 GW. Mais tandis que les capacités renouvelables augmentaient, celles de production d’électricité dites pilotables, qui ne dépendent ni du vent ni du soleil, c’est-à-dire les centrales nucléaires, les barrages et les centrales thermiques, n’ont cessé de
diminuer. Elles sont aujourd’hui tout juste dimensionnées pour pouvoir répondre à la demande, mais pas à une situation «exceptionnelle» de grand froid en hiver et de programme de maintenance perturbé par les confinements. Au cours des dix dernières années, la France a fortement réduit son parc pilotable. Les capacités fossiles (charbon et fioul notamment) ont été amputées de 8,7 GW et les capacités nucléaires de 1,8 GW avec la fermeture au cours des derniers mois des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim. Avec Fessenheim en service, la France aurait très certainement pu passer l’hiver sans crainte de manquer d’électricité…
Mais le gouvernement n’a rien voulu entendre.
La situation est d’autant plus critique que la pandémie a contraint cette année EDF à revoir le calendrier de maintenance des réacteurs nucléaires. Et il a pris beaucoup de retard. Le premier confinement très strict a contraint EDF à étaler la maintenance de ses centrales. Cela a retardé
la remise en route des réacteurs. Avant le mois de mars, EDF prévoyait une production nucléaire pour 2020, 2021 et 2022 comprise entre 375 et 390 TWh. Elle a été abaissée à 325 et 335 TWh du fait de la crise sanitaire. Du coup, le système est à présent «sans marge» résume RTE.

Les prochaines années seront encore plus difficiles

Et cette situation pourrait bien s’aggraver dans les prochaines années même si l’EPR de Flamanville entre enfin en service. Car de nombreux pays européens sont engagées eux-aussi dans la fermeture accélérée de leur capacité de production d’électricité pilotables remplacées par des renouvelables. C’est notamment le cas de l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. Chacun compte en fait sur ses voisins pour lui fournir de l’électricité en cas de besoin et notamment sur les centrales nucléaires françaises…
Contrairement à ce que dit Barbara Pompili, la part de l’énergie nucléaire dans le bouquet électrique français (70% de la production l’an dernier) n’est pas le problème, sauf à considérer qu’il faut la remplacer par d’autres capacités pilotables à savoir des centrales thermiques qui elles émettent du CO2 contrairement aux centrales nucléaires. Quand l’idéologie devient
l’adversaire de la transition énergétique…
Fermer des centrales nucléaires sans nécessité et retarder leur remplacement par de nouveaux réacteurs pour des raisons d’affichage politique, revient de fait à mettre en danger la sécurité d’approvisionnement électrique du pays, à l’appauvrir et finalement à ne pas être efficace sur le plan climatique en retardant par exemple la fermeture des centrales à charbon.
Comme l’expliquait il y a quelques mois Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, «c’est écrit: dans quinze ans, la France subira des coupures d’électricité, et nous serons contraints, dans l’urgence, de construire des centrales à gaz extrêmement polluantes.
On convoquera les élus devant des commissions d’enquête, comme celles d’aujourd’hui sur le Covid-19. Et on leur dira: vous saviez, mais vous n’avez rien fait
».

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