Énergie : RTE temporise et préconise un coup de frein sur les renouvelables

Alors que la consommation d’électricité stagne, le gestionnaire du réseau appelle à modérer les ambitions de la PPE3, et à redoubler d’efforts sur l’électrification des usages.

Par Géraldine Woessner

Publié le 09/12/2025 à 20h04

Les prix de l’électricité en France restent parmi les plus bas d’Europe, avec le mégawattheure 30 euros moins cher qu’en Allemagne. © SYSPEO/SIPA / SIPA / SYSPEO/SIPA

Le débat électrise la classe politique depuis des mois. Faut-il, alors que la consommation d’électricité ne décolle pas, poursuivre le déploiement rapide et massif de nouvelles capacités de production électriques, comme le demandent à grands cris les producteurs de renouvelables ? Ou mettre la pédale douce et réorienter les investissements vers l’électrification des usages, comme le suggèrent de nombreux scientifiques, l’Académie des Sciences en tête ?

Alors que le gouvernement peine à finaliser la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3), promise par Sébastien Lecornu d’ici à la fin de l’année, le bilan prévisionnel actualisé, présenté par RTE ce 9 décembre, modifie en profondeur les données du débat… Et illustre sa complexité.

À LIRE AUSSI Électricité, nucléaire, renouvelables : la France dans le brouillard énergétiqueAprès avoir frôlé la pénurie en 2022, sous le triple effet d’un problème de corrosion sous contrainte bridant ses réacteurs, d’une sécheresse historique asséchant ses barrages et d’une guerre en Ukraine contrariant son approvisionnement en gaz, la France est entrée dans une nouvelle ère. La production nucléaire est remontée en flèche, les barrages ont retrouvé leur étiage, et le solaire et l’éolien ont progressé à un rythme jamais observé, le nombre de panneaux solaires passant de 10,4 gigawatts (GW) installés en 2020 à 26,7 GW en 2025, faisant exploser la production, notamment à la mi-journée.

La France, en d’autres termes, a non seulement restauré ses capacités pilotables, mais elle a aussi engagé un vaste chantier de développement des énergies renouvelables, afin de remplir ses objectifs de décarbonation – 60 % de l’énergie consommée dans le pays étant encore carbonés. Mais alors que, il y a deux ans seulement, RTE anticipait qu’un boom de la consommation électrique allait absorber ces surplus, suivant les projections pleines d’allant du gouvernement, la réalité s’est grippée…

Une demande atone

« Certains parleront de surcapacités, d’autres d’abondance… Le résultat est le même : on produit plus d’électricité qu’on n’en consomme », résume Thomas Veyrenc, directeur général Économie, stratégie et finances de RTE.

Pour atteindre la neutralité carbone, le gouvernement anticipait 15 millions de véhicules électriques en 2035 ? La tendance actuelle nous conduit vers 3 millions. La décarbonation de l’industrie devait avaler 45 TWh d’électricité supplémentaire ? Elle frémit à peine, la consommation électrique du secteur restant inférieure de près de 8 % à la période pré-Covid… Et les projets de production massive d’hydrogène à partir d’électricité décarbonée marquent le pas, n’ayant pas réussi à trouver leur modèle économique.

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« Sur la consommation, les chocs successifs nous placent clairement dans l’univers du scénario C », reconnaît le président de RTE Xavier Piechaczyk, en référence à la trajectoire dite de « mondialisation contrariée » imaginée en 2023, caractérisée par une demande atone – alors que le gouvernement a bâti son projet de PPE3 sur le scénario le plus optimiste, le scénario A.

Le projet de PPE actuellement sur la table prévoit en effet une consommation totale de 615 TWh d’électricité en 2035… Or elle ne devrait pas dépasser 580 TWh, selon le nouveau scénario établi par RTE, voire 505 TWh si les étoiles refusent encore de s’aligner. « À court terme, selon Xavier Piechaczyk, la France est entrée dans un épisode de surcapacité transitoire, pour au moins deux à trois ans. »

Deux scénarios : l’un optimiste, l’autre pessimiste

Dans le détail, anticipe désormais RTE, deux trajectoires se dessinent. Celle, optimiste, d’une « décarbonation rapide », et celle – plus conforme à la tendance actuelle – d’une « décarbonation lente ».

La première implique, selon les modèles du gestionnaire, environ huit millions de véhicules électriques en circulation en 2030, ainsi que la concrétisation effective de 60 % des projets de décarbonation industrielle, d’hydrogène et de data centers aujourd’hui déclarés. Ce scénario conduirait à une consommation électrique de 580 TWh en 2035 (et de 510 TWh en 2030). C’est clairement celui que soutient RTE, en recommandant d’y adapter la construction de nouvelles capacités de production.

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Même dans cette version optimiste, les ambitions du gouvernement seraient nettement revues à la baisse : alors que la version de travail de la PPE3 prévoit encore, conformément aux plans annoncés par Emmanuel Macron en 2022, environ 90 gigawatts de solaire à l’horizon 2035, RTE préconise plutôt 55 à 65 GW, selon les scénarios. Même logique pour l’éolien en mer : la PPE3 tablait sur 18 GW de capacités installées en 2035, quand RTE recommande plutôt une fourchette située entre 10 et 13 GW. Ces scénarios – baptisés R2 et R3 –, explicitement mis en avant par le gestionnaire de réseau, permettraient « d’éviter la formation d’une surcapacité structurelle », tout en préservant les industriels du renouvelable, et la cohérence du mix à long terme.

La PPE3 face au mur du réel

Mais ces nouveaux investissements ne seraient soutenables qu’à une condition : que la France parvienne à enclencher cette « décarbonation rapide ». En cas d’échec, même ces trajectoires pourtant revues à la baisse créeraient un excédent de production trop difficile à absorber.

Certes, les surcapacités actuelles présentent des avantages : les exportations d’électricité ont atteint un record de 89 TWh 2024, et atteignent déjà 82 TWh cette année sur les 11 premiers mois. Les prix de l’électricité restent parmi les plus bas d’Europe (le mégawattheure est 30 euros moins cher qu’en Allemagne). Mais en cas de décarbonation lente, estime RTE, des « surcapacités durables » feraient augmenter d’environ 7 % le coût du mégawattheure (MWh). Les charges liées au soutien public aux ENR augmenteraient. Et les producteurs d’électricité seraient contraints de brider leur production beaucoup plus souvent, pour éviter les black-out. « Il faudra écrêter jusqu’à 30 GW pour les ENR, et moduler 50 TWh de nucléaire, » estime Thomas Veyrenc – un niveau tel qu’il risquerait d’avoir de lourdes conséquences techniques pour les centrales, en entraînant l’usure accélérée de certains équipements.

« L’enjeu, désormais, est d’éviter que cette situation ne se pérennise », prévient-il. Car la France ne peut pas, à long terme, fonctionner dans un régime où l’électricité produite n’est pas intégralement utilisée : les écrêtements massifs d’énergies renouvelables, déjà observés au printemps dernier, lorsque plusieurs gigawatts de solaire ont dû être arrêtés en milieu de journée, deviendraient alors quasi quotidiens dès la fin de la décennie.

Booster l’électrification

D’où l’appel lancé à électrifier d’urgence les usages. L’avenir de la PPE « se jouera dans les prochains mois », insiste Thomas Veyrenc. Les multiples projets de raccordement au réseau électrique, sur lesquels RTE s’est basée pour ses prévisions, se concrétiseront-ils ? D’autres verront-ils le jour ? « Le problème n’est pas le nombre de data centers qui attendent leur raccordement, c’est le nombre de réseaux qui attendent leur projet de data center », avoue-t-il – laissant percevoir l’ampleur du défi.

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Au premier trimestre 2026, RTE et le gouvernement prévoient de passer en revue l’intégralité des projets aujourd’hui sur la table, afin de départager ceux qui disposent réellement d’un modèle économique, d’un financement sécurisé et d’un calendrier opérationnel de ceux qui ne sont, pour l’heure, que des annonces ou de vagues intentions.

Si RTE reconnaît que le risque de surcapacités est réel, l’opérateur souligne dans le même souffle qu’un moratoire brutal sur les nouvelles capacités serait tout aussi périlleux. Les filières renouvelables, déjà ébranlées par deux années de gel des appels d’offres, ne s’en relèveraient pas sans casse. Et si, dans trois ou cinq ans, l’électrification accélérait enfin, le pays se retrouverait dépourvu, faute d’avoir continué à investir. « L’industrie déteste les stop-and-go », prévient Xavier Piechaczyk. Autrement dit : s’il faut bel et bien ralentir le rythme, attention à ne pas casser une dynamique.

Un défi politique et budgétaire

Le gouvernement, lui, marche sur une ligne de crête. Comment réduire les ambitions de production, sans toutefois donner le sentiment d’un renoncement ? Comment éviter les surcapacités sans briser les filières ? Comment assumer publiquement que la consommation ne sera pas au rendez-vous, tout en promettant qu’elle… finira par l’être ? Le Premier ministre a demandé au ministère de l’Économie de plancher sur une stratégie d’électrification complémentaire à la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Une gageure, en période de contrainte budgétaire, et alors que l’électrification implique d’accélérer le déploiement des bornes de recharge, de sécuriser les aides aux pompes à chaleur, de soutenir les industriels basculant vers des procédés décarbonés, de réformer taxes et tarifs pour rendre l’électricité plus compétitive que le gaz…

À DécouvrirLe Kangourou du jourRépondreSelon RTE, le fait de basculer d’une trajectoire de décarbonation lente vers une décarbonation rapide ferait baisser d’environ sept euros par mégawattheure le coût complet du système électrique, tout en évitant des modulations nucléaires particulièrement coûteuses, pour absorber l’intermittence des renouvelables. Autrement dit, stimuler la demande serait bien plus efficace, économiquement et techniquement, que ralentir le développement des renouvelables de manière « excessive »…

Toute la difficulté résidant désormais dans l’exacte définition que le gouvernement choisira, dans ses documents de programmation, de donner à ce mot : « excessif ».

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