Quelques notations à propos du paysage

On dit, qu’après tout, l’appréciation d’un paysage est chose toute subjective et c’est vrai. On peut aussi dire que cette subjectivité le paysage l’a en partie formée ou modifiée : l’a possiblement enrichie en lui étant une découverte, celle d’une physionomie particulière du monde, d’une expérience singulière; ou bien lui est une familiarité, par quoi ce paysage habite profondément cette subjectivité, lui est son monde ambiant.

Dans ce cas la modification de ce paysage – de ce milieu de vie – par l’ajout d’éléments hétérogènes de grande dimension venant à en changer essentiellement la physionomie et l’ambiance, le caractère propre, vient tout aussi bien altérer la « subjectivité » de ses habitants (qui entretiennent ce paysage, perpétuent cet équilibre, cet accord de nature et d’usage humain); revient à les priver brusquement de cette intimité et de toutes les significations qui s’y attachent dans la vie intérieure; leur fait en somme comme une expropriation, une spoliation; un appauvrissement.

On peut avancer que le paysage c’est en fin de compte ce qui demeure à l’esprit quand on ferme les yeux : l’étendue et ses plans successifs, les lignes de force de sa composition, les masses végétales ou minérales et leurs couleurs, les traces d’occupation humaine, etc., et comment cela existe tout ensemble autour de soi et sous le ciel.

Dans le cas d’un paysage rural et rustique bien particularisé, qu’en restera-t-il après l’érection d’un groupe d’aérogénérateurs de grande hauteur le dominant loin à la ronde de leurs hypnotiques relations ? Si l’on ferme les yeux : des aérogénérateurs se dressant, animés d’une étrange vie mécanique, sur un environnement quelconque, au fond indifférent : que ce soit plaine betteravière ou collines boccagées ne vient qu’en secondaire; n’y change rien que marginalement; n’est qu’optionnel en quelque sorte.

Cette simple expérience de pensée nous découvre comment de telles superstructures industrielles sont une force puissante d’uniformisation du monde
(et ainsi des subjectivités) – une perte de diversité, une érosion des possibilités de la vie sensible.

On pourrait penser que les parcs régionaux ou nationaux devraient être à cet égard en sorte de derniers recours, de conservatoires aussi de cette biodiversité-là; en possibilités qui resteraient, malgré les fortes contraintes objectives de l’époque, d’une expérience intérieure particulière – « subjective » – à quoi par ailleurs les grands équipements de l’aménagement du territoire, ferment l’accès.

Tout le monde peut éprouver l’insuffisance des cartes postales, des plans fixes aussi beaux qu’ils soient, à rendre compte de l’impression que suscite un paysage essentiellement naturel – d’une belle contrée – quand on s’y tient vivant, physiquement environné par l’étrangeté de la vie végétale et animale, par ses dimensions et ses lointains, sa lumière, parmi son acoustique et ses odeurs, etc., par ce qui peut s’y deviner de son façonnement par les générations; il s’agit là toujours d’une expérience totale.

Et c’est pourquoi l’irruption d’éléments hétérogènes encombrant la perception y apporte une modification non moins totale, même dans les intervalles où ces objets relevant d’un tout autre ordre des choses se dérobent à la vue, on sait qu’au prochain tournant il réapparaîtront, brassant le ciel : rien n’en reste indemne. Ainsi qu’une colline boisée ne serait plus la même d’apprendre qu’à son revers se dissimule un centre d’enfouissement de déchets ultimes : sans doute la signification en serait toute changée. Ainsi des aérogénérateurs cyclopéens dans un parc naturel, ou dans un paysage de longue habitation humaine, dont le tournoiement aimante l’esprit malgré lui, l’envahit, ne lui laisse aucune paix ; dont les clignotants rouges obséderont encore le ciel nocturne.)

On pourrait penser qu’un parc naturel puisse être le lieu où subsisterait aussi la possibilité de rencontrer, de connaître le monde non inséré dans les infrastructures voyantes de la civilisation avancée; qui offriraient l’opportunité de ce sentiment-là, de cette intelligence-là; où se conserverait cette dimension ouverte pour l’esprit et sa vie intérieure, pour l’imagination et ses rêveries.

On pourrait penser que ce serait d’un grand prix, une heureuse surprise pour les évadés temporaires de l’univers urbain (c’est précisément ce qu’ils viennent y chercher aujourd’hui); que ce serait encore une juste prérogative accordée à qui fait le choix de vivre là et d’en assurer la perpétuation en dépit des difficultés certaines et, à certains égards, des sacrifices que cela suppose.

 

Baudouin, un adhérent de MorVent en Colère

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.