Quand les éoliennes déciment les aigles royaux

Par Tribune collective

Publié le 17/02/2023 à 19:19 , mis à jour le 20/02/2023 à 17:56

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TRIBUNE – Le projet de loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables favorise l’implantation de nouveaux parcs éoliens. Au détriment de la sauvegarde de la biodiversité et des espèces protégées, dénoncent les signataires, dont Patrice Cahart et Stéphane Bern.

Le projet de loi a été adopté par le Parlement le 7 février dernier.


Le 16 janvier dernier, un aigle royal de deux mètres d’envergure, représentant d’une espèce emblématique et menacée, a été ramassé mort près des éoliennes de Lunas (Hérault). Loin d’être une surprise, ce fait navrant prend place à la suite de vingt ans d’errements du promoteur éolien et de l’autorité publique.

Cette longue série débute en 2003, par une étude d’impact qui devait, suivant la loi, recenser les enjeux environnementaux du projet éolien. Cette étude n’a pas signalé la présence, dès 2001, d’un aigle royal dans le secteur. En effet, les bureaux d’études qui réalisent les études d’impact sont choisis et rémunérés par le promoteur, lequel dispose ainsi d’un moyen de pression sur eux. On ne compte plus, notamment, les cas de photomontages tendancieux, réalisés depuis des points d’où les emplacements des futures éoliennes ne sont guère visibles. C’est le président du tribunal administratif qui devrait choisir ces bureaux d’études (de même qu’il choisit les commissaires-enquêteurs). Les bureaux sélectionnés seraient ensuite rémunérés par l’autorité publique, sur des fonds versés par le promoteur. C’est indispensable pour l’indépendance de ces prestataires.

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Le préfet de l’Hérault a accordé le permis de construire. Les défenseurs de la biodiversité et des paysages l’ont attaqué. En 2004, il a été constaté qu’un couple d’aigles royaux avait nidifié à petite distance du site. En 2012, le permis a été annulé de façon définitive par le Conseil d’État, pour d’autres raisons.

La suite est sidérante. En 2013, le préfet a accordé un nouveau permis de construire pour le même projet, sans imposer que le promoteur obtienne au préalable la dérogation exigée par le code de l’environnement chaque fois qu’un risque significatif existe pour la faune ou pour la flore. Cette dérogation permet à l’exploitant de détruire des sujets protégés, ou leur habitat naturel. Bref, un «permis de tuer», à n’accorder qu’avec une grande prudence. Si, en l’occurrence, il n’a pas été demandé, c’est sans doute par crainte d’un refus. Et le préfet s’est fié aux dispositifs d’effarouchement des oiseaux que le promoteur recommandait. Or ils ne sont pas fiables ; la suite, c’est-à-dire la mort des aigles, va le montrer.

Inversion des valeurs

Ce second permis irrégulier a ouvert un nouveau cycle contentieux, durant lequel le promoteur n’a pas craint d’implanter ses sept engins et de les mettre en marche. En 2017, le Conseil d’État a prononcé une nouvelle annulation définitive. C’était la troisième fois, sur ce dossier, qu’il donnait raison aux défenseurs des aigles royaux. La même année, un vautour moine avait été tué sur le site. D’autres victimes ont suivi dans les parages: des vautours fauves, un premier aigle royal.

Le lecteur candide pourrait croire l’affaire terminée. Mais dans notre pays, quand on a obtenu des tribunaux de l’ordre administratif l’annulation d’un permis de construire (ou d’une autorisation environnementale qui en tient lieu), il faut recommencer le procès devant les tribunaux judiciaires pour obtenir la démolition de la construction fautive: tribunal, cour d’appel et, le cas échéant, Cour de cassation. Pendant ce temps, le préfet, qui avait interdit le fonctionnement diurne des engins, l’a réautorisé, d’où le meurtre tout récent du deuxième aigle royal. La Cour de cassation vient d’ouvrir la voie à la démolition, mais a renvoyé l’affaire à la cour d’appel de Nîmes. Il serait grand temps, pour le législateur, de décider que l’annulation définitive d’un permis de construire ou d’une autorisation administrative équivalente vaut ordre de démolition.

À Aumelas, les éoliennes ont détruit 28 faucons crécerellettes

Le cas de Lunas n’est pas isolé. À Aumelas, localité située par une coïncidence dans le même département, les éoliennes, pour lesquelles aucune dérogation à l’interdiction de tuer n’avait été demandée, ont détruit 28 faucons crécerellettes. La forêt de Lanouée (Morbihan), fille de la forêt de Brocéliande, est victime d’un autre projet éolien, sur un site où 157 espèces ont été recensées, mais pour lesquelles les «permis de tuer» ont été accordés.

Et voici le sommet. Le projet de loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables (dont l’éolien), adopté par le Parlement le 7 février 2023, contient un article 4 selon lequel les installations productrices et leurs raccordements seraient réputés «d’intérêt public majeur». En conséquence, ils bénéficieraient d’une priorité par rapport à la biodiversité, dont les défenseurs ne seraient plus admis à contester cet intérêt majeur. Les promoteurs qui, comme à Lunas ou à Aumelas, craignaient un refus de leur demande de dérogation, n’hésiteraient plus et obtiendraient ce «permis de tuer». Le dernier mot, au sujet de ce texte, reviendra au Conseil constitutionnel.

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Ce cortège d’affaires témoigne d’une inversion des valeurs. La conférence mondiale de Montréal (COP15) venant de s’achever par un hymne à la biodiversité, la subordonner à l’éolien serait un fort paradoxe. Comme les paysages et les monuments historiques, elle fait partie de l’identité de la France. Ce sont aussi des bases de notre tourisme. On entend les sacrifier pour un petit supplément d’électricité, alors que l’intermittence éolienne limite cet espoir, et que l’urgence n’est plus ce qu’on croyait, car la France est redevenue exportatrice de courant. Ne prenons pas modèle sur Ésaü qui vendait son droit d’aînesse pour un plat de lentilles.


Signataires: Jean-Pierre Bady, ancien directeur du patrimoine ; Stéphane Bern, historien, animateur de télévision ; Michel Blangy, préfet de région (h) ; Gabriel de Broglie, de l’Académie française, chancelier honoraire de l’Institut de France ; Antoine Brunet, président de chambre à la Cour de comptes (h) ; François Bujon de l’Estang, ambassadeur de France ; Patrice Cahart, ancien conseiller à la Cour de cassation ; Jean-Claude Casanova, économiste, de l’Institut ; Françoise Chandernagor, écrivain, de l’Académie Goncourt ; Jacqueline Dauxois, écrivain, spécialiste de bioéthique ; Anny Duperey, actrice et romancière ; Sir Michael Edwards, écrivain, de l’Académie française ; Emmanuel Forichon, porte-parole de 160 associations d’Occitanie ; Jean-Paul Frouin, préfet de région (h) ; Éric Giuily, ancien directeur général des collectivités locales ; Denis de Kergorlay, président de la French Heritage Society ; Jean de Kervasdoué, de l’Académie des technologies ; Julien Lacaze, président de Sites et monuments ; Édouard de Lamaze, président de l’Observatoire du patrimoine religieux ; François Leblond, préfet de région (h) ; Olivier de Lorgeril, président de La Demeure historique ; Maryvonne de Saint-Pulgent, présidente de section honoraire au Conseil d’État, ancienne directrice du patrimoine ; Pierre Morel, ancien ambassadeur ; Xavier Moreno, président du Cérémé ; Jean-Marie Rouart, écrivain, de l’Académie française ; Éric Roussel, historien, de l’Institut ; Gérard de Senneville, inspecteur général de l’équipement (h) ; Marjolaine Villey-Migraine, porte-parole de 60 associations du nord de l’Hérault et du sud de l’Aveyron ; Didier Wirth, président de l’Institut européen des jardins et paysages.

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