Lutte contre le réchauffement climatique: est-il possible d’atteindre la neutralité carbone?

LA VÉRIFICATION – L’Union européenne veut une Europe neutre en carbone d’ici à 2050. C’est également l’objectif de la France, dont les émissions de gaz à effet de serre ont baissé d’environ 18% par rapport à 1990.Par Anne-Laure FrémontPublié hier à 11:47, mis à jour hier à 17:45

Chaque État s’engageant sur cette trajectoire doit s’efforcer de réduire les émissions sur son territoire tout en préservant les principaux puits de carbone naturels. Adobestock

LA QUESTION. La France, tout comme l’Union européenne, s’est engagée à atteindre la neutralité carbone d’ici la deuxième moitié du 21ème siècle, dans le cadre de l’Accord de Paris, afin de limiter le réchauffement de la planète «bien en dessous de 2°C». Depuis 1990, nos émissions directes ont baissé de plus de 18% en France. L’objectif est d’atteindre 40% en 2030 puis la «neutralité carbone» en 2050. La Commission européenne a même proposé de relever cet objectif à 55% dès 2030, proposition sur laquelle les Etats membres se prononceront en fin de semaine. Mais cette neutralité carbone est-elle vraiment possible? Et la France va-t-elle assez vite pour opérer sa transition?

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VÉRIFIONS. Une précision d’abord: neutralité carbone ne signifie pas zéro émission de dioxyde de carbone (CO2). Cela implique de ne pas émettre plus de gaz à effet de serre (GES, responsables du réchauffement de notre planète) que le pays ne peut en absorber via ses «puits de carbone naturels» que sont par exemple les forêts, les sols, les zones humides etc…

L’Accord de Paris, dans son article 4, ne parle d’ailleurs pas de «neutralité» mais d’«équilibre entre les émissions anthropiques (…) et les absorptions par les puits de gaz à effet de serre» . Cette notion de neutralité apparaît en revanche dans le dernier rapport des experts du climat de l’ONU (le Giec) qui estiment qu’elle doit être atteinte au niveau global en 2050 si on veut limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degrés à la fin du siècle, et 20 ans plus tard maximum si on veut le limiter à 2°C.

Comme l’explique Henri Waisman, chercheur senior au sein du programme Climat de l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales), on se concentre sur le CO2 «car c’est un gaz à très longue durée de vie, par opposition au méthane par exemple qui a un très fort pouvoir de réchauffement mais qui va rester bien moins longtemps dans l’atmosphère. Donc quand on se place dans une optique de stabiliser la température, il est nécessaire d’agir sur le dioxyde de carbone».

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Une stratégie à court et moyen terme

«C’est simple: le jour où on arrête de cramer du fossile – charbon, pétrole, gaz naturel -, on n’émet plus de CO2», résumé Benoît Leguet, directeur général de l’Institut de l’économie pour le climat et membre du Haut conseil pour le climat. Donc pour lui, «oui, la neutralité carbone, c’est possible. De toute façon, dans 300 ou 400 ans, il n’y aura plus d’énergie fossile, donc on sera à zéro émission nette de gré ou de force. Après est-ce que c’est possible en trente ans? Au niveau de la France, c’est en tout cas l’objectif fixé».

Cet objectif est assez précis: il implique de diviser nos émissions au moins par six d’ici à 2050 par rapport aux niveaux de 1990, en décarbonant totalement la production d’énergie et en réduisant fortement les consommations d’énergie dans tous les secteurs. Pour cela, la France s’est dotée d’une trajectoire, la stratégie nationale bas carbone (SNBC), qui définit des objectifs de réduction des GES à court et moyen termes, avec des plafonds d’émissions à ne pas dépasser dans les secteurs clés du bâtiment, des transports, de l’agriculture, de l’énergie, de l’industrie ou des déchets.

Graphique tiré du rapport sur la stratégie bas carbone de la France.

L’objectif donc, à l’horizon 2050, est d’atteindre un niveau d’émissions que l’on pourra considérer comme incompressible: environ 80 millions de tonnes de CO2 émises par an. Pour être «neutre», il faudra parallèlement compenser ces émissions grâce à l’action des puits de carbone. Aujourd’hui, on estime que la biosphère française peut absorber 40 millions de tonnes d’équivalent CO2 annuellement. L’objectif est donc aussi de multiplier sa capacité d’absorption par deux en encourageant par exemple des pratiques agricoles plus durables ou en garantissant la conservation des forêts qui couvrent aujourd’hui 31% du territoire métropolitain.

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Mais ces capacités d’absorption sont forcément limitées. Une autre solution consiste à investir dans des technologies à émissions négatives, comme la (BECCS), une technique de géoingénierie visant à capter et stocker le CO2 dans un réservoir géologique. Ces techniques sont encore au stade de la recherche et leur impact sur les écosystèmes est difficile à évaluer. «Je n’y crois pas beaucoup», reconnaît Benoît Leguet. C’est surtout une manière de reculer pour mieux sauter.» «Le risque, abonde Henri Waisman, c’est de retarder la réduction d’émissions de GES en comptant sur ces technologies qui sont encore en phase de tests. Bien sûr, il faut poursuivre la recherche tous azimuts mais l’enjeu reste d’abord de réduire les émissions.»

Objectif de la France à l’horizon 2050.

Autre levier pour réduire son bilan, utilisé depuis des années par les entreprises: la compensation carbone. Elle consiste à financer des projets de diminution des émissions (planter des arbres, réhabiliter des forets, investir dans les énergies renouvelables) pour contrebalancer les nôtres. «L’engagement de la France porte sur ses émissions territoriales sans compensation», assure cependant Benoît Leguet. Comme l’explique en effet Henri Waisman, «ce système peut être un instrument pour accompagner la transition. Mais à terme cela ne peut pas marcher puisque l’objectif est global. Les mécanismes de marché conventionnels ne vont pas assez loin. On voit bien qu’on doit aller vers une logique très différente de celle du protocole de Kyoto signé en 1997, quand ce type de mécanismes a émergé, puisqu’à l’époque, seuls les pays industrialisés avaient des contraintes d’émissions. Aujourd’hui, cela ne résout pas du tout le problème.»

En France, «clairement on n’y est pas»

L’objectif soit plutôt être de changer les comportements et d’investir. Où en est la France sur ce terrain? Les stratégies sont posées et le plan de relance destiné à redresser l’économie après les ravages de la crise sanitaire doit notamment permettre d’économiser «57 millions de tonnes de CO2», selon la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili. En 2018, les émissions territoriales de la France étaient de 445 millions de tonnes de CO2 contre 546 millions en 1990, selon le gouvernement; elles ont donc baissé de 18,5 % sur cette période. Leur niveau par habitant est désormais l’un des plus faibles parmi les pays développés (6,4 tonnes CO2/hab).

C’est une dynamique positive, mais nous sommes encoe loin du compte. Le bilan provisoire du solde du premier budget carbone 2015-2018 indique un dépassement estimé à 65 Mt de CO2 sur l’ensemble de la période. Les émissions n’ont décru que de -1% par an en moyenne pendant cette période alors que le scénario SNBC initial projetait une diminution de -2%. Pour 2019, la France dépasse de 2,7% son objectif d’émissions nettes (soit 419,9 millions de tonnes contre 404 mt prévus, selon l’observatoire Climat-Energie). La France a d’ailleurs perdu cette année quate places dans le classement international Climate Change Performance Index conçu par l’organisation allemande Germanwatch: elle est désormais classée 23ème, derrière l’Egypte.

En novembre, la justice française a d’ailleurs donné trois mois à l’État pour justifier de ses actions en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Le Haut conseil pour le climat a récemment pointé du doigt le retard pris dans le secteur du bâtiment: «le rythme de baisse des émissions doit passer d’une pente douce, entre 2 et 3% en ce moment, à une pente plus rapide de 5% par an dans ce secteur d’ici quelques années», a noté sa présidente Corinne Le Quéré.

Pour Benoît Leguet, il ne faut pas avoir les yeux rivés seulement sur ces émissions qui, à elles seules, «ne disent pas grand chose. En 2020 par exemple, à cause de la crise, elles seront de l’ordre de -10%. Et pourtant, la structure de l’économie n’a absolument pas changé. C’est du conjoncturel, pas du structurel.» Il préfère donc regarder les «investissements d’aujourd’hui qui sont les émissions de demain»; et selon lui, de gros efforts restent à faire. «Si on prend la SNBC, sur les chiffres 2018, il manquait 15 à 18 milliards d’euros d’investissement bas carbone en France chaque année dans tous les secteurs, pour être en ligne avec la stratégie.» Selon lui, toujours côté investissements, les secteurs du transport et du logement ne s’en sortent pas trop mal. «Mais attention: ce n’est pas parce que les montants sont les bons que l’argent est dépensé de façon intelligente», explique le directeur de I4CE.

Il faut également garder à l’esprit que l’objectif de neutralité que s’est fixée la France ne prend pas compte les importations. Or la part des «émissions importées» de gaz à effet de serre ne cesse d’augmenter, a averti le Haut conseil pour le climat dans un récent rapport, déplorant un manque de stratégie dans ce domaine. Elles représentent même les deux cinquièmes de l’empreinte carbone des Français, un poids en hausse de 78% depuis 1995 et «principalement lié à la hausse de la consommation», notamment de produits électroniques, de produits pétroliers raffinés, de métaux et de produits agro-alimentaires importés d’Asie.

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En outre, un certain nombre d’émissions ne sont pas couvertes par la stratégie nationale bas carbone, notamment tout ce qui concerne le transport aérien et maritime international, «ce qui n’est pas rien dans un pays qui dépend pas mal du tourisme», note Benoît Leguet.

Jouer collectif

Si la neutralité carbone est une trajectoire que doivent emprunter chaque État, il s’agit bien d’un objectif défini à l’échelle globale», rappelle Henri Waisman, puisque ce qui compte, c’est la quantité de carbone dans l’atmosphère. «C’est un peu à chaque pays d’essayer de comprendre comment il peut se l’approprier et cela ne veut évidemment pas dire que tous les pays doivent être neutres en carbone à la même date, car les situations sont très différentes», entre les pays industrialisés et ceux en voie de développement, ceux dont la couverture forestière est importante ou quasiment inexistante…

Les États n’ont donc pas le choix: ils doivent coopérer. À ce titre, l’enjeu pour l’Europe est double car elle doit à la fois montrer l’exemple en réduisant les émissions sur son territoire, mais aussi mettre en place des processus de coopération avec d’autres acteurs, notamment ses partenaires commerciaux. «Une Europe à zéro émission en 2050, alors que tous les autres continuent à émettre, ça ne sert absolument à rien», estime Henri Waisman. L’accord de Paris est d’ailleurs construit de cette façon, selon lui: dans un premier temps, l’engagement des pays vers cette neutralité carbone, puis, dans un deuxième temps, des rendez-vous intermédiaires qui permettront de mieux se coordonner entre pays. Le prochain rendez-vous, en 2023, permettra de faire un bilan des objectifs cinq ans après l’entrée en vigueur de l’accord adopté après la COP21, mais aussi donc de réfléchir à des solutions collectives. En gardant à l’esprit qu’il n’y a pas de sanction pour les signataires qui doivent présenter un bilan de leurs objectifs, pas de ce qui est réellement accompli.

En attendant, aucun pays ne peut prétendre aujourd’hui avoir atteint la neutralité carbone sur son territoire, mais certains sont en avance dans divers secteurs de la transition. Le chercheur à l’Iddri cite l’exemple du Costa Rica dont le système électrique est quasiment décarboné… «même s’ils ont beaucoup d’émissions dans le domaine des transports». En fait, aujourd’hui, la plupart des pays très peu émetteurs sont des pays en développement. «Or la neutralité carbone doit se faire en assurant un fonctionnement économique satisfaisant, rappelle Henri Waisman. Tout l’enjeu pour eux est de réussir à se développer en court-circuitant en quelque sorte les étapes qu’ont pu franchir les pays industrialisés.»

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