Le Nouvel Observateur – 10 septembre 2020
Approuvées par 80 % des Français, les éoliennes font néanmoins l’objet de critiques acerbes. Malgré ces fortes résistances, leur développement reste au cœur de la transition énergétique
Fabien Ferreri, qui vit dans l’Orne à 500 mètres d’un champ d’éoliennes, mesure à l’aide d’un sonomètre les décibels qu’elles génèrent.
Photo : Photos BRUNO COUTIER
En 2014, Fabien Ferreri est allé vivre dans une jolie ferme normande à Echauffour, bourgade de 742 habitants dans l’Orne. Le quinquagénaire baraqué a laissé derrière lui la ville et son métier de documentariste pour se lancer dans la fabrication de mobilier d’art, mais son bonheur est contrarié depuis un an. Les coupables ? Cinq éoliennes installées dans le champ voisin, bien trop bruyantes à son goût. Par vent d’est, il dit ne plus dormir. Armé de son sonomètre, notre Don Quichotte mesure ce« bruit de machine à laver sous sa fenêtre »puis envoie ses relevés à la préfète.« Le son monte à 47 décibels alors que la limite légale est de 40 le jour et de 38 la nuit. »Par vent d’ouest, Fabien Ferreri retrouve la paix, mais ce sont alors Michel Lerouet et Aurélie Ganet qui se plaignent ! Eux aussi ont quitté la vie urbaine pour acheter en 2011 un couvent décrépit et en faire une maison d’hôte. Le projet éolien était alors embourbé dans les recours, Michel croyait qu’il n’aboutirait pas. Erreur. Aujourd’hui, ce sont ses chambres d’hôte qui sont menacées.« On est dans une cuvette. Certains jours, c’est comme si un petit avion tournait au-dessus de nos têtes »,raconte Aurélie.Clément Lainé, directeur du développement régional de l’entreprise exploitante, Voltalia, assure chercher une solution : « Nous veillons à la bonne intégration de nos projets. Il y a souvent des opposants, mais ils ne sont quasiment jamais majoritaires, même s’ils se font plus entendre. A Echauffour, nous avons toujours eu le soutien du conseil municipal… »De nouvelles mesures sonores ont lieu, mais les deux parties ne sont pas d’accord sur la méthode retenue. La bataille d’Echauffour illustre nos rapports avec les éoliennes. Trois quarts des Français ont une bonne image de l’énergie du vent, selon un sondage commandé par France Energie Eolienne (FEE), lobby de la profession. Mais cette majorité se heurte à ceux qui craignent la dégradation des paysages, la chute du prix de leur propriété, les nuisances. Et ce sont ces minoritaires (20 % dans les zones proches des éoliennes) qu’on entend le plus. Selon le Syndicat des Energies renouvelables (SER), qui représente les industriels du secteur, 70 % des projets font l’objet de recours. « A cause des contestations, il faut patienter sept à huit ans entre l’identification du site et la mise en service. En Allemagne, tout est bouclé en moins de quatre ans », observe son président, Jean-Louis Bal.
« SENSATION D’ÉTOUFFEMENT »
Des projets sont régulièrement sanctionnés parce qu’ils portent atteinte au patrimoine – le château de Tanlay, en Bourgogne, vient d’éviter l’installation de huit éoliennes visibles à 6 kilomètres de distance. Parce qu’ils fragilisent la biodiversité – en particulier les rapaces et les chauves-souris, protégés. Ou bien parce qu’ils sont jugés difficilement compatibles par le voisinage. « Les juges sont de plus en plus sensibles à ce point, observe l’avocat spécialisé Francis Monamy. Quand on vit dans un vallon avec des éoliennes en surplomb, cela crée une sensation d’écrasement. » En 2017, le Conseil d’Etat a par ailleurs confirmé un « risque de saturation visuelle du paysage »dans le rejet d’implantation de six éoliennes sur la côte d’Opale, à Widehem et Frencq, entre Boulogne-sur-Mer et Le Touquet.
Les Hauts-de-France et le Grand-Est, avec leurs grandes plaines et leurs vents forts, ont été l’eldorado des opérateurs dans les années 2000, quand l’Etat a garanti un tarif fixe d’achat de l’électricité produite, qui rendait les projets financièrement alléchants. Ces deux régions concentrent la moitié de l’éolien terrestre français, mais Xavier Bertrand, président LR des Hauts-de-France, tente de mettre le holà. La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a aussi appelé début août à la mise en place d’un « vrai schéma de développement éolien »dans la région… Sur le reste de l’Hexagone, les places sont chères. L’habitat plus diffus complique la tâche des opérateurs, qui tentent d’obtenir auprès de l’armée et de Météo France l’accès à des zones réservées aux radars ou couloirs aériens. « La moitié du territoire nous est interdite, critique Jean-Yves Grandidier, pionnier de l’éolien avec son entreprise Valorem. La haute administration manque de culture industrielle. » D’où son inquiétude quand reviennent au Parlement des textes qui prônent un éloignement des éoliennes de 500 à 1 500 mètres des habitations : « Cela reviendrait à nous interdire tout le territoire ! »
Les mêmes conflits d’usage touchent les parcs éoliens en mer, dits « offshore ». Là, ce sont les pêcheurs et les élus qui sont en colère. Les premiers forages exploratoires n’ont démarré que cet été au Tréport, l’un des premiers parcs attribués en Normandie… en 2012 ! « Le site est en pleine zone de reproduction du poisson, il risque de tuer la pêche artisanale, déplore le député communiste de Seine-Maritime Sébastien Jumel. On a demandé de le déplacer, mais on n’a pas été entendu. » Les contreparties fiscales, la promesse d’une trentaine d’emplois locaux pour la maintenance du parc et les adaptations – pourtant notables – promises par les porteurs du projet, EDF Renouvelables et Enbridge, ne le font pas plier. Pas plus que la construction d’une usine au Havre par Siemens Gamesa, destinée à la fabrication de pales et à l’assemblage de nacelles pour les futurs parcs de Fécamp et de Saint-Brieuc, et ses 750 emplois. « En face, il y a 1 000 pêcheurs, que vont-ils faire ? Guides touristiques dans le parc éolien ? », ironise l’élu. Résultat de ces résistances : alors que l’Europe, tirée par le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Danemark, compte 5 000 éoliennes en mer qui produisent 22 000 mégawatts (MW), la France ne mettra en route sa première ferme de 80 mâts (480 MW) à Saint-Nazaire qu’en 2022. Suivront Fécamp et Le Tréport, avant d’autres parcs près des côtes (dits « posés ») ou plus au large (dits « flottants ») en Bretagne Sud et en Méditerranée.
Aurélie Ganet, toujours dans l’Orne, voulait ouvrir une maison d’hôte. Le projet est à l’arrêt.
CHUTE DES COÛTS
Certains récalcitrants vont jusqu’à réclamer de réorienter les investissements vers d’autres énergies qu’ils jugent plus propres. Pour compenser l’écart entre le coût de production du mégawattheure (MWh) et le prix du marché, l’Etat porte en effet l’électricité renouvelable à bout de bras : l’an dernier, ce soutien s’est élevé à 5,6 milliards d’euros (dont 1,6 pour l’éolien) ; cette année, il doit atteindre 5,8 milliards (dont 1,9 pour l’éolien). « Ces sommes incluent des aides à des parcs anciens, construits quand l’éolien était moins compétitif, argumente Nicolas Couderc, directeur général France d’EDF Renouvelables. Avec la maturité de la filière, le coût de l’éolien baisse et les aides ont vocation à diminuer. » Sa compétitivité demeure néanmoins floue. Aujourd’hui, le coût de production varie entre 50 et 71 euros le MWh, raccordement compris, pour l’éolien terrestre – en baisse de près de 40 % depuis 2010. Il devrait osciller entre 50 et 60 euros le MWh pour les futurs parcs offshore posés. Cela reste plus cher que le nucléaire historique (à 42 euros le MWh), mais moins que la dernière génération de nucléaire : le prix de vente garanti par le gouvernement britannique pour les EPR d’Hinkley Point est de 117 euros par MWh. Sans compter qu’on ignore combien coûteront précisément le démantèlement et l’enfouissement des déchets…
Bon point pour l’éolien ? Oui et non. Car celui-ci a le défaut d’être intermittent. Un développement massif des énergies renouvelables nécessite de puissantes batteries ou du stockage sous forme d’hydrogène (voir encadré), ce qui dans les deux cas impose de lourds investissements. Il pourrait exiger, en attendant, de faire appel aux polluantes centrales thermiques pour compenser les creux de production. De quoi plomber une filière qui présente pourtant un bon bilan carbone : « La production d’électricité par l’éolien terrestre émet 12,7 g de CO2 par KWh en comptant tout le cycle de vie de l’installation, et cela passe à 17 g pour l’éolien offshore. La moyenne française est plutôt de 80 g, et la moyenne européenne de 400 g », détaille Sébastien Billeau, ingénieur à l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (Ademe). La défense de l’éolien par l’Ademe reste pourtant incompréhensible pour Xavier Moreno, 72 ans, polytechnicien et énarque, connu jusqu’ici pour présider le fonds d’investissement Astorg Partners. Entouré de figures de la lutte contre l’éolien, il vient de créer le Cérémé, un « cercle d’étude »qui réclame un « vrai débat »sur le modèle de la Convention citoyenne et, d’ici là, un moratoire sur les nouvelles installations. « L’électricité vraiment non carbonée, c’est l’hydraulique et le nucléaire, insiste-t-il. Si les entreprises gazières ou pétrolières françaises investissent dans les énergies renouvelables, c’est pour répondre à la demande de leurs clients en électricité dite « verte”. »Le gouvernement a en tout cas fait son choix. La loi énergie et climat, adoptée l’an dernier, porte la part du nucléaire à 50 % du bouquet électrique à l’horizon 2035 (contre 70 % aujourd’hui) et pousse l’éolien pour atteindre l’objectif de neutralité carbone de la France en 2050. Feuille de route officielle, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit un doublement de la capacité éolienne terrestre d’ici à 2028 (soit 34 700 MW) et une montée en puissance de l’offshore, qui part de zéro. Avec 30 000 emplois à la clé. Mais la route s’annonce longue pour que la France aux 36 000 clochers devienne la France aux 15 000 éoliennes
LE PARI DE L’HYDROGÈNE
Côté énergies, le plan de relance présenté par Jean Castex débloque 2 milliards d’euros pour l’hydrogène (une enveloppe qui doit atteindre 7 milliards d’euros en tout d’ici à 2030), 470 millions au profit du nucléaire, et rien pour les renouvelables. Mauvais signal pour l’éolien ? Non. D’abord parce que le développement des énergies renouvelables est déjà financé dans le cadre de la Programmation pluriannuelle de l’énergie, rappelle-t-on au ministère de la Transition écologique. Ensuite parce que l’enveloppe consacrée à la filière hydrogène pourrait résoudre l’une des grandes faiblesses des énergies renouvelables, sans cesse pointée par les défenseurs du nucléaire : leur intermittence. Soumises aux aléas météorologiques, elles produisent tantôt plus ou tantôt moins d’électricité que la demande.
La promesse de l’hydrogène ? Utiliser la production d’électricité excédentaire pour « casser »des molécules d’eau via un électrolyseur et ainsi produire de l’hydrogène, un gaz qui pourra être retransformé plus tard en électricité pour faire rouler une voiture, un train ou alimenter un site industriel. Une solution de stockage d’énergie décarbonée, déployable à plus grande échelle que les batteries classiques.
Problème : le process n’est pas encore totalement au point, handicapé par de grosses déperditions d’énergie et un coût trop élevé. Les sommes débloquées par le gouvernement – vingt fois plus que le plan Hulot de 2018 – doivent permettre de résoudre l’équation et illustrent l’espoir mis dans cette technologie.
MORGANE BERTRAND et CLÉMENT LACOMBE
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