La rédaction 29 janvier 20218 minutes de lecture
En l’état actuel des technologies permettant de produire de l’électricité et de la stocker, promettre le tout renouvelable est-il réaliste ou un acte militant? Pourrait-on simplement satisfaire la demande avec 100% de renouvelables? Rien n’est moins sûr. La question est moins économique qu’avant tout technique. Si les hypothèses et les modèles sont souvent contestés pour leur naïveté ou leur caractère irréaliste, certains chercheurs sont persuadés que l’objectif est atteignable en s’en donnant les moyens et en pariant sur les progrès technologiques.
Article paru dans le numéro 7 du magazine Transitions & Energies.Imprimer l’article
Le dernier des deux réacteurs nucléaires de Fessenheim a été fermé en juin. Quatorze autres réacteurs attendent leur arrêt définitif dans les quinze prochaines années puisque le gouvernement s’est engagé à ramener la part du nucléaire à 50% de la production d’ici 2035. Une échéance qui a déjà été repoussée mais qui pourrait n’être qu’une étape. Différents scénarios sont étudiés. Faut-il garder une partie des centrales existantes, prolonger leur durée de vie et ne pas en construire d’autres? Faut-il en bâtir de nouvelles? Un scénario avec une production d’électricité 100% renouvelable est-il possible? Élisabeth Borne, quand elle était ministre de la Transition écologique et solidaire, voulait y croire.
«Ce n’est pas une lubie qui me serait venue comme ça» lançait-elle sur BFM Business en novembre 2019. Elle s’appuyait notamment sur une étude, très controversée, de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) sur les conditions pour la France permettant d’ici à 2060 de passer à 100% d’électricité renouvelable. L’Ademe avait cherché alors clairement à démontrer que cela était faisable et que la France pouvait se passer à la fois du nucléaire et des énergies fossiles. L’étude avait retenu des hypothèses permettant d’y parvenir. À tel point d’ailleurs, qu’il n’y avait pas de comité scientifique pour soutenir l’étude et que la démonstration ne fonctionnait qu’en postulant une baisse significative de la consommation d’électricité au cours des quarante prochaines années et une augmentation très importante de la capacité de stockage de la production éolienne et solaire, aujourd’hui techniquement infaisable. Pour l’académie des technologies, l’étude de l’Ademe était non seulement affectée «de nombreuses erreurs de méthodes et des contradictions», mais surtout elle « ne devrait en aucun cas servir de base à des décisions de politique publique».
La clé est dans la capacité à développer le stockage
Plus concrètement, l’Allemagne, le modèle à suivre en matière d’électricité renouvelable avec sa fameuse révolution énergétique (Energiewende) lancée il y a vingt ans, est parvenue l’an dernier à assurer 43% de sa production électrique avec des renouvelables, hydraulique, biomasse, éolien et solaire. Un chiffre qui devrait encore augmenter cette année. Mais elle mesure aussi les limites de cette stratégie, contrainte de faire fonctionner des centrales au charbon et au gaz quand le solaire et l’éolien ne produisent pas ou peu et de lancer depuis cet été un plan massif d’investissement dans l’hydrogène vert pour stocker, avec un faible rendement, l’électricité renouvelable produite quand elle est surabondante. La production d’électricité solaire et éolienne étant intermittente et aléatoire par nature est la plupart du temps, soit trop importante ou trop faible pour s’ajuster à la demande. Enfin, l’Allemagne a un autre problème, plus politique et social, la révolte dans les territoires qui ralentit considérablement depuis plusieurs années le programme d’installation des éoliennes et de lignes électriques à haute tension.
Deux obstacles majeurs au tout renouvelable ne peuvent tout simplement pas être balayés d’un revers de main pour construire une stratégie à 100% renouvelables: leur caractère intermittent (solaire et éolien) et la difficulté technique et économique du stockage de l’électricité dite propre. Il faut y ajouter le caractère peu intensif des productions électriques solaires et éoliennes qui nécessite, pour augmenter fortement les capacités, l’utilisation de surfaces très importantes et de grandes quantités de matériaux et matières premières. Mais cela n’empêche pas des chercheurs d’avoir construit des modèles qui permettent, en théorie, de surmonter tous ces obstacles.
«Le fait qu’elles ne soient pas pilotables est un gros handicap mais ce n’est pas rédhibitoire», affirme Philippe Quirion, directeur de recherche au CNRS et chercheur au Cired, le Centre international de recherche sur l’environnement et le développement. Tout dépend notamment du développement des technologies de stockage, de leurs coûts et plus encore de la capacité à les construire à une échelle qui soit celle de la consommation électrique de régions et de métropoles, c’est- à-dire au moins de dizaines de gigawatts. Un problème qui aujourd’hui n’est pas surmonté avec une seule exception, les barrages remplis par des systèmes de pompage. Quant aux batteries, c’est une pure illusion, compte tenu des capacités de production existantes et de l’utilisation massive pour les fabriquer de matières premières et de métaux comme le lithium, le cobalt et le nickel. Pour donner un ordre d’idées, il faudrait deux cents années de production de la «gigafactory» de Tesla dans le Nevada, la plus grande usine de batteries au monde, pour stocker deux journées de consommation d’électricité en France.
Vaclav Smil, l’un des universitaires le plus influents au monde sur les grandes questions relatives à l’énergie était en- core plus sévère dans un entretien accordé l’an dernier à Transitions & Énergies. «Imaginez la métropole de Tokyo, 39 millions d’habitants, face à un typhon de trois jours. Les éoliennes ne fonctionnent pas, il y a trop de vent. Il y a très peu de soleil. Imaginez ce qu’il faudrait comme quantités de batteries –leur poids, leur taille, les matières premières nécessaires– pour alimenter l’agglomération pendant trois jours avec de l’électricité stockée éolienne et solaire. Il faudrait des gigawatts. C’est physiquement impossible. Et c’est la même chose pour Mumbai, Singapour, Mexico City, Le Caire, New York, Paris… On nous explique sans cesse que le prix des renouvelables ne cesse de baisser. Alors pourquoi les pays et les États qui ont la part la plus importante de renouvelables, comme l’Allemagne et la Califor- nie, ont-ils aussi les prix les plus élevés de l’électricité? Parce qu’ils sont obligés de doubler leurs équipements…»
Au-delà du stockage, d’autres leviers sont pourtant utilisables, évidemment la flexibilité de la demande, même si elle a des limites économiques et sociales, et l’utilisation de renouvelables dits pilotables (centrales à gaz à partir de biogaz, hydraulique, hydrogène vert). «Pour bien traiter la question, on ne peut pas faire autrement que de recourir à un modèle plutôt qu’à de simples calculs. Aujourd’hui en Europe, plusieurs équipes font ce type de modélisation et aboutissent à des résultats très convergents», affirme Philippe Quirion.
Baisse continue des coûts
Il faut alors prendre en compte les estimations récentes des coûts techniques, que ce soit pour l’éolien, le solaire, les batteries, ou tout ce qui est power to gas. Les performances se sont améliorées et les coûts ont baissé. «Si on met tout cela dans un modèle, on se rend compte que le problème est tout à fait soluble et qu’on peut avoir un système 100% renouvelable, en France, à l’horizon 2050, pour un coût tout à fait raisonnable», détaille Philippe Quirion. Le chercheur a présenté en webinaire le 19 novembre 2020, une co-étude publiée dans The Energy Journal.
Il rappelle qu’il y a quinze ans, lorsque l’Allemagne a commencé un développement massif du solaire, nombreux sont ceux qui pointaient une décision ruineuse. Et de fait, à l’époque, cela coûtait très cher. «L’avantage c’est qu’en faisant cela, ils ont massivement fait baissé les prix au niveau mondial: c’était un cadeau au reste du monde. D’un côté, le coût du solaire a été divisé par 10 entre 2009 et 2020, et l’éolien a baissé de 71%, de l’autre, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué par contrecoup.» En étudiant le coût de la production (le plus onéreux) et du stockage de l’électricité, le chercheur arrive à 50 euros le mégawattheure à l’horizon 2050. Cette projection se base sur l’idée que les coûts de production et surtout de stockage vont continuer à baisser. Et même si le coût du solaire ne diminuait pas comme on peut s’y attendre, «ce n’est pas grave, on fera moins de solaire et plus d’éolien».
Il existe pourtant une autre limite à ces hypothèses, elle tient au développement du réseau électrique. Compte tenu de la plus grande dispersion géographique d’une production plus atomisée, cela représente un investissement aussi important que celui effectué dans les capacités de production. «On optimise en supposant qu’on arrive à prévoir parfaitement la demande d’électricité, et les productions d’éolien et de solaire sur l’année, mais c’est une approximation. Nous avons pris partiellement en compte la question du réseau, en appliquant les recommandations des gestionnaires de réseau.»
Philippe Blanc, directeur de recherches à Mines Paris Tech, veut également s’inscrire dans l’hypothèse de 100% d’électricité renouvelable en jugeant que c’est une nécessité, sans pour autant en sous-estimer la difficulté. Il déclarait sur France Culture: «C’est quelque chose qui est extrêmement compliqué à mettre en place et cela ne se fera pas en dix ans. […] Il faut encore persévérer, on a besoin de recherche. Les moyens derecherche en France, sur les énergies renouvelables, sont relativement faibles, comparé à d’autres pays.»
Philippe Quirion dans une logique plus militante conteste les discours dits «réalistes». «En matière de climat comme en matière de pollution atmosphérique, une tonne émise c’est une tonne en trop. Point. Il n’y a pas un seuil en-deçà duquel tout va bien et si on dépasse ce seuil, tout va mal. Chaque tonne compte. Chaque dixième de degré compte. Le 100% renouvelable, par définition, il faudra y arriver. N’oublions pas que le contraire de renouvelable, c’est épuisable.» Une vraie profession de foi. Mais cela ne suffit pas à rendre les modèles et les hypothèses plus crédibles.
par Émilie Drugeon
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