Énergie : en Allemagne, la grande désillusion

Son réseau électrique est au bord de la rupture : comment le pays s’est
fourvoyé dans une impasse à 520 milliards et reste dépendant des
fossiles
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Par Géraldine Wœssner Publié le 29/11/2024 à 11h00

Éoliennes à proximité de la centrale thermique de Niederaussem (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Pour
compenser le manque de fiabilité des énergies décarbonées et éviter l’effondrement de son réseau,
l’Allemagne est contrainte d’augmenter ses capacités fossiles.© Paul Langrock/Laif-Réa
Le 6 novembre, à 17 heures. L’Allemagne fait face à un scénario cauchemardesque : ses 1 602 éoliennes maritimes sont à l’arrêt complet. Ses 72 gigawatts d’éoliennes terrestres (plus de 30 000 mâts !) ne produisent que 114 mégawattheures, une fraction dérisoire (0,1 %) de ses besoins. Le soleil est couché, rendant inutiles ses 3,7 millions d’installations solaires (94 gigawatts). La consommation, elle, atteint 66 gigawattheures…
Pour éviter le black-out, le pays doit importer massivement de l’électricité et pousser au maximum ses centrales au fioul et au charbon. Le prix du mégawattheure s’envole à 820 euros, « dix fois son prix habituel », s’affolera, sur LinkedIn, le patron de l’énergéticien allemand RWE, Markus Krebber.
Ce « Dunkelflaute » (absence simultanée de vent et de soleil) se prolonge pendant plus de trente heures. Les dispositifs de stockage – batteries et stations de pompage – sont vite épuisés. Le pays doit importer environ 13 gigawatts d’électricité, ses moyens pilotables nationaux (53 gigawatts) étant insuffisants pour couvrir la demande.
« Cela signifie que la même situation n’aurait pas été gérable un jour de janvier avec une charge de pointe plus élevée, selon Markus Krebber. En Allemagne, nous agissons depuis des années comme si la question de l’ajout de capacités sécurisées pouvait être reportée. Non, nous n’avons plus le temps ! »

Sept fois plus de CO2
À mesure que les journées de ce type se multiplient, l’échec de l’Energiewende, cette « transition énergétique » allemande vantée comme un modèle en Europe, se fait de plus en plus criant. Et l’un des plus grands faits d’armes d’Angela Merkel – unanimement célébrée comme la « chancelière du climat » lorsqu’elle acte, en 2011, la sortie de son pays du nucléaire, embrassant le mouvement engagé au début des années 2000 par la coalition rouge-verte au pouvoir – s’est mué en une humiliation nationale.
En vingt ans, le pays a investi plus de 500 milliards d’euros pour installer des forêts d’éoliennes, couvrir ses toits de panneaux solaires. Une facture payée au prix fort (l’un des plus élevés d’Europe) par les contribuables et par l’industrie…
Pour un bilan environnemental désastreux : alors que la dernière centrale nucléaire a fermé en avril 2023, le kilowattheure allemand émet, en moyenne annuelle, sept fois plus de CO2 que le kilowattheure français : 417 grammes contre 59. Pour compenser l’intermittence des renouvelables et la fermeture de ses réacteurs, l’Allemagne a dû augmenter ses capacités fossiles de plus de 5 % en vingt ans, les centrales à charbon fermées étant remplacées par des centrales au gaz (massivement importé de Russie, puis des États-Unis), dont la consommation a bondi de 71 %.

Demande en électricité : un bond de 70 %
En 2024, le réseau électrique est au bord de la rupture, selon un rapport corrosif publié
en mars par la Cour des comptes allemande. Le développement des réseaux accuse un
« retard considérable », écrit-elle : seuls 2 695 kilomètres de lignes électriques ont été
construits, sur les 14 000 nécessaires à l’Energiewende… à peine 19 % ! Il faudra sept ans
minimum, estime la cour, pour rattraper le retard.
Pour éviter l’effondrement du réseau, le pays doit recourir massivement au redispatching – ces ajustements d’urgence qui ont coûté 4,2 milliards d’euros en 2023. Et, selon
l’Agence fédérale des réseaux, il faudra investir 460 milliards d’euros supplémentaires
d’ici à 2045 pour adapter les réseaux électriques à la hausse programmée des
renouvelables.
La demande en électricité, elle, est censée bondir de 70 % d’ici à 2050 pour que
l’Allemagne puisse tenir ses engagements climatiques. Le pourra-t-elle ? Le « modèle
allemand », dénoncent ses détracteurs, menace aujourd’hui à la fois la survie
économique du pays et le climat.

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