Un collectif rassemblant plus de 180 associations écologistes, organisations syndicales et élus locaux doit manifester, dimanche, contre les nombreux projets de nouveaux parcs dans la région, la plus densément équipée d’Espagne.
Par Sandrine Morel (Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne), envoyée spéciale)
Le Matinale du Monde 5 juin 2022
A La Baña, commune agricole de 3 500 habitants située à 30 kilomètres au nord de Saint-Jacques-de-Compostelle, Nely Pisco a préparé la pancarte qu’elle brandira lors de la manifestation prévue ce dimanche 5 juin dans la capitale de la région contre « l’invasion éolienne ». « A cause du capital, on nous chasse de nos terres » est le mot d’ordre choisi par cette enseignante et conductrice de bus, présidente de l’association Fonte Seca, créée en 2020 pour lutter contre la prolifération des projets de parcs éoliens dans la région.
« On va mettre des moulins de 220 mètres de haut à 500 mètres de nos maisons, le minimum fixé par la loi, lance, en colère, cette mère de deux enfants, qui possède des terrains forestiers plantés d’eucalyptus menacés d’expropriation, des champs de maïs et quelques cochons et poules. Le pire est l’eau : nous buvons directement une eau de source pure et non traitée, ici. Or, pour installer ces gigantesques aérogénérateurs, les fondations couperont forcément le cours d’eau. »
Dans sa commune, pas moins de six projets de parcs éoliens ont été déposés ces dernières années, représentant une quarantaine d’aérogénérateurs. « Au total, près de 60 % de la surface totale de La Baña est affectée. C’est insensé. Aussi bien à cause du stress que cela provoquera pour le bétail que des problèmes cardiaques et neurologiques pour les riverains, qui subiront le vrombissement infernal et constant des pales. »
Organisée par la plate-forme « Eoliennes, comme ça non », rassemblant plus de 180 associations écologistes, organisations syndicales et élus locaux, la manifestation de dimanche à Saint-Jacques-de-Compostelle, dernière d’une liste qui ne cesse de s’allonger en Espagne, a choisi pour slogan « Nous avons des alternatives ». « Nous ne sommes pas contre les éoliennes, nous demandons simplement une planification rationnelle de ces installations et un changement de modèle qui priorise d’abord l’efficience et l’économie énergétique », explique Belen Rodriguez, porte-parole de la principale association écologiste de Galice, créé en 1974, Adega.
« En Galice, les éoliennes sont devenues invasives : il y a plus de 300 projets en attente en ce moment, du fait de la manne attendue des fonds du plan de relance Next Generation. Or ils ne sont pas inoffensifs pour l’environnement, que ce soit parce que d’immenses zones d’agriculture et d’élevage extensifs seront affectées, ou parce qu’ils menacent des espèces et une biodiversité nécessaires pour faire face au défi climatique », poursuit-elle.
L’administration croule sous les dossiers
Avec plus de 4 000 aérogénérateurs répartis dans près de 190 parcs éoliens, la Galice est la région d’Espagne comptant le plus d’éoliennes au kilomètre carré. Vaste paysage de tourbières battu par les vents, enveloppé de brume ou arrosé de pluie, les monts de la Serra do Xistral, à l’extrême nord-ouest de l’Espagne, comptent ainsi vingt-neuf parcs éoliens, rassemblant près de 850 aérogénérateurs, dont un nombre considérable se trouve en plein cœur d’une zone classée Natura 2000.
« La Galice représente 6 % de la superficie espagnole, mais 14 % de la production d’énergie éolienne, et il est question de la tripler, résume Belen Rodriguez. Près de 30 % de l’électricité éolienne produite dans la région est déjà exportée dans le reste du pays. La question est aussi de savoir si tous ces moulins sont calibrés sur la demande ou si nous faisons face à de la spéculation. »
Le gouvernement espagnol est lui-même débordé par la quantité de projets déposés, en Galice ou ailleurs en Espagne. Alors que l’objectif qu’il s’est fixé est de mettre en fonctionnement, d’ici à 2030, 60 GW d’énergie renouvelable, les projets présentés ces dernières années représentent 150 GW. Pour désengorger l’administration, qui croule sous 700 dossiers, dont 210 correspondent à des parcs éoliens, il a incité les entreprises à retirer les projets les moins viables, notamment ceux situés dans des zones environnementales sensibles, en leur offrant la possibilité de récupérer les fonds déposés en garantie.
« La clé de la décarbonation »
Au contraire, l’association des entreprises éoliennes (AEE) a demandé le 18 mai au gouvernement d’« accélérer les démarches d’autorisation d’énergies renouvelables », qui sont « la clé du plan de sécurité énergétique et de la décarbonation de l’Europe et de l’Espagne », rappelant que seulement 0,8 MW de puissance éolienne a été installé en 2021, alors que le Plan national intégré énergie et climat (PNIE) a fixé un objectif de 2,2 GW annuels jusqu’en 2030. « Nous ne pouvons pas faire l’économie d’un seul projet éolien pouvant entrer en fonctionnement dans les deux prochaines années et respectant les principes d’un impact environnemental minimum », a déclaré le président de l’AEE, Juan Virgilio Marquez.
Avec 1 300 parcs éoliens installés et 21 600 aérogénérateurs cumulant 28 GW de puissance, l’Espagne est déjà le deuxième producteur d’énergie éolienne de l’Union européenne, derrière l’Allemagne et devant la France (19 GW). Et dans le cadre des mesures urgentes approuvées pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine et à la hausse des prix de l’énergie, le gouvernement de gauche a adopté, le 29 mars, une procédure accélérée pour autoriser les nouveaux parcs éoliens de moins de 75 MW situés hors de zones protégées.
Sandrine Morel (Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne), envoyée spéciale)
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