ENTRETIEN. Ex-candidat à la présidentielle, l’écologiste porte un regard critique sur l’action du gouvernement dans la lutte contre le changement climatique.
Propos recueillis par Florent Barraco
Modifié le 12/07/2020 à 08:00 – Publié le 11/07/2020 à 08:00 | Le Point.fr
Commentaire : Antoine Waechter revient notamment sur le climat et l’inutilité des éoliennes
En 1988, il obtenait 3,78 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle. Trente-deux ans plus tard, ses lointains successeurs ont remporté de nombreuses grandes villes après un score très encourageant aux européennes. Antoine Waechter, pionnier de l’écologie politique en France, est lui aussi témoin de la montée de l’environnement comme sujet majeur de préoccupation. Europe Écologie-Les Verts transformera-t-il l’essai lors de la présidentielle ? Les Verts s’y préparent, l’ingénieur écologue n’y croit pas. Waechter prend pour exemple l’échec de Nicolas Hulot qui, ministre de la Transition écologique, n’avait pas pu (su ?) peser sur les grands dossiers, démissionnant avec fracas du gouvernement. Il fustige également les actes d’Emmanuel Macron, bien loin, selon lui, des discours qu’il prononce. Pour lui, le chemin vert est encore long. Entretien.
Le Point : Que vous inspire la vague verte aux municipales ?Publicité – RED by SFRLe forfait RED: 60Go à seulement 13€/MoisAppels/SMS/MMS en illimité, 8Go depuis UE/DOM et sans engagement, valable seulement jusqu’au 15/07 !
Antoine Waechter : Les médias ont focalisé sur les grandes villes. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu un premier tour qui a vu 30 000 communes dotées d’emblée de leur conseil municipal. Des centaines d’écologistes, encartés ou non, sont entrés dans ces conseils, souvent formés à partir de listes citoyennes. Ces petites communes ne doivent pas être négligées, car ce sont elles qui gèrent le territoire : la forêt lorsqu’elle est communale, la protection des terres agricoles, du patrimoine et de la cohérence du bâti au travers des plans d’urbanisme. Elles peuvent établir une relation de proximité avec les acteurs locaux, par exemple les agriculteurs pour négocier les modalités d’emploi des pesticides. Le succès des Verts dans les grandes villes pose deux questions : quelle est la réalité de la poussée écologiste dans l’opinion, le fort taux d’abstention ayant privilégié les électorats qui ont la capacité de se mobiliser – et les électeurs écolos avaient cette motivation lors de cette élection ? Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’on a une tête de liste verte qu’on a une liste verte et qu’on aura une politique verte. Ce sont des listes d’assemblage qui ont gagné. Derrière le vert, il y a des représentants de la gauche classique, des communistes, des LFI, des Génération.s… L’expérience passée montre que ce ne sera pas facile pour ces maires verts d’appliquer leur projet car ils vont être obligés en permanence de négocier avec un conseil qui n’a pas la même sensibilité, pas les mêmes priorités. Tout ce que je souhaite, c’est que l’espérance des électeurs ne soit pas déçue…
À Grenoble, Éric Piolle, élu en 2014, a été reconduit dans un fauteuil. L’écologie municipale semble fonctionner.
Je n’ai aucune inquiétude sur la compétence des écologistes à gouverner une commune. J’en ai un peu plus sur la nature du projet. Car il y a deux types d’écologie, que je qualifierai de « minérale » pour l’une et de sensible pour l’autre. L’écologie minérale, celle qui s’affirme de gauche, va privilégier des investissements (pistes cyclables, mesures énergétiques…), alors que l’écologie sensible donnera plus de poids à la préservation de la nature, de l’harmonie du paysage urbain, de la qualité du cadre de vie de tous sans distinction. C’est ainsi que des contradictions peuvent apparaître entre ce que le public attend et ce que la municipalité verte réalise. Les éoliennes industrielles terrestres en sont un exemple : drapeaux idéologiques de la lutte antinucléaire pour les uns, mise en exergue de leur impact sur le paysage, la faune et la santé des riverains pour les autres.
À la vue de cette vague verte, de la prise de conscience de l’urgence climatique, peut-on imaginer un « président vert » en 2022 ?
Je ne crois pas que la France soit prête. Dès lors, la question est la suivante : que devons-nous attendre des élections présidentielles ? Pour René Dumont, Brice Lalonde et moi, il s’agissait d’utiliser l’élection présidentielle pour sensibiliser les gens à l’écologie et créer un rapport de force avec le président élu. À partir de 1995, les Verts ont cherché à engranger le maximum de voix pour négocier des circonscriptions aux élections législatives ou pour entrer au gouvernement quand la gauche l’emportait. Aujourd’hui, la situation est différente : Emmanuel Macron est le plus mauvais président depuis le début de la Ve République sur le seul critère de l’environnement. Sur ce point, tout le monde est d’accord. Nous avons assisté, trimestre après trimestre, à un démontage du Code de l’environnement. Le citoyen, élément essentiel de régulation des pouvoirs publics en ce qui concerne l’environnement, a été neutralisé, le pouvoir des agents de l’État a reculé et les instruments de planification et de protection ont été affaiblis. Dernier exemple en date : le décret du 8 avril 2020 donne au préfet un droit de dérogation pour tout ce qui relève du réglementaire en matière d’urbanisme, de protection des espèces ou des milieux humides…
Lire aussi Yannick Jadot, roi du pétrole
Pourtant, quand Emmanuel Macron a été élu, il y a eu un fol espoir marqué par la nomination de Nicolas Hulot, « la » figure de l’écologie en France. Certains se sont dit « enfin du changement ».
Oui, cela a changé… en pire. Ce n’est pas un hasard si Nicolas Hulot a démissionné, car il s’est trouvé contraint à l’impuissance dans un environnement de lobbyistes qui ont l’oreille de l’Élysée. Ces groupes de pression, dans les domaines de l’industrie, de la finance, de l’agriculture, de la chasse…, poussent à un affaiblissement du Code de l’environnement, du Code rural et du Code de l’urbanisme.
C’est toujours la même question : vaut-il mieux être dans le système pour tenter de peser, quitte à perdre des arbitrages, ou hors du système uniquement pour critiquer et alerter…
À la tête d’une fédération de protection de la nature au début des années 1970, j’ai été confronté à la pression destructrice des Trente Glorieuses. J’ai alors été convaincu que l’action association, pour nécessaire qu’elle soit, ne pouvait être suffisante : il fallait atteindre les élus là où ils sont le plus sensibles : le bulletin de vote. C’est ainsi que j’ai créé, avec Solange Fernex, le premier parti écologiste d’Europe, Écologie et Survie, en février 1973. Il est important de prendre des responsabilités, j’en suis convaincu. Quarante-sept ans d’engagement politique m’ont aussi démontré qu’une politique écologiste ne peut être menée que par un gouvernement écologiste. Un exemple : en 1989, Jean-Marie Bockel m’a proposé d’être dans sa majorité à Mulhouse. J’ai accepté en posant nos conditions, notamment sur les conditions de réalisation d’une grande opération d’urbanisme. Au bout de deux ans et demi, Bockel a fait voter le contraire de ce pour quoi nous l’avions rejoint : nous avons, à l’instant même, quitté la majorité. Il faut prendre ses responsabilités, mais il faut avoir le tempérament nécessaire pour négocier et s’imposer. Et, comme Nicolas Hulot, quand c’est impossible, il faut partir… On peut perdre des arbitrages ministériels, c’est le jeu. Mais il faut savoir en tirer les conséquences.
Emmanuel Macron fait des discours, mais les actes sont opposés. On a l’impression que certains lui rédigent des textes tandis que d’autres décident sans avoir lu les discours…
Le Haut Conseil pour le climat porte un jugement sévère sur l’action du gouvernement. Rien n’a-t-il été fait depuis deux ans ?
La méthode du « et » appliquée par Hollande puis par Macron ne peut pas donner des résultats positifs : il n’est pas possible, par exemple, de réduire substantiellement les émissions de gaz à effet de serre liées à la voiture et en même temps faire la promotion de la voiture. Il faut favoriser les voitures qui consomment 3 litres aux 100 (contre 6 à 8 litres en moyenne aujourd’hui) et il faut inciter les Français à ne rouler que 9 000 kilomètres par an, au lieu de 18 000, comme c’est le cas aujourd’hui. Or que voyons-nous ? La publicité à la télévision encourage les grosses cylindrées et il n’y a aucun investissement sur le réseau ferroviaire secondaire. La construction de grandes surfaces en périphérie des villes doit être interdite et il faut arrêter la fermeture des services (maternités, sous-préfectures…) en milieu rural pour cesser d’imposer des déplacements.
Ne lui accordez-vous pas tout de même un satisfecit sur la Convention citoyenne pour le climat : 146 des 150 propositions devraient être adoptées !
Attendons de voir ce que cela donne sur le terrain. Emmanuel Macron fait des discours, mais les actes sont opposés. On a l’impression que certains lui rédigent des textes tandis que d’autres décident sans avoir lu les discours… Les propositions de la Convention climat vont dans le bon sens, même si elles sont insuffisantes : j’attends les actes.
Lire aussi Convention citoyenne pour le climat : et après ?
Dresser un drapeau sur lequel est écrit “décroissance” est, me semble-t-il, une erreur de communication.
Nous avons parlé de prise de conscience : aujourd’hui, sauf chez d’irréductibles réfractaires, l’urgence climatique semble acceptée par tous. Il reste deux points d’achoppement : le nucléaire et la décroissance. Comment débloquer ces deux marqueurs ?
C’est une discussion que nous avons eue au sein du MEI ces dernières années. Il y a ceux qui considèrent que le danger du réchauffement climatique est plus important que celui du nucléaire et les autres qui pensent le contraire. Sauf que le réchauffement climatique est une réalité, le risque nucléaire est une probabilité. La synthèse que nous avons adoptée : oui, sortir du nucléaire est un objectif, progressivement au fur et mesure que nous réduisons notre consommation d’électricité. Rappelons que la France est le deuxième exportateur d’électricité au monde : nous disposons dès maintenant d’importantes marges de manœuvre. Le tout en développant une stratégie globale de réduction des énergies carbonées.
Lire aussi Nucléaire : comment Aubry et Hollande scellèrent le sort de Fessenheim
Et sur la décroissance ? Nous avons connu une période de décroissance pendant le confinement…
Dresser un drapeau sur lequel est écrit « décroissance » est, me semble-t-il, une erreur de communication. Nous devons diminuer notre consommation d’énergie et de matières premières, nos déplacements, notre consommation de terres agricoles pour l’urbanisation… Est-ce de la décroissance ? Le confinement a créé pendant deux mois des conditions particulièrement favorables à l’environnement. Mais il a également créé les difficultés économiques que l’on connaît. Quand la décroissance est imposée, brutale, non réfléchie, elle est contre-productive. C’est pour cela qu’il faut réfléchir à la meilleure transition possible et privilégier la sobriété.
Lire aussi Dette facile, taxation des riches, décroissance… : la foire aux boniments
D’un coup de baguette magique, vous vous retrouvez à l’Élysée. Quelles sont les trois mesures que vous mettez en place immédiatement ?
J‘installe un moratoire sur les déploiements des éoliennes le temps de rétablir un encadrement d’État, de mettre en place une procédure démocratique en remettant notamment les aérogénérateurs dans le droit commun. J’abroge toutes les mesures qui ont écarté le citoyen du contrôle. Je crée, enfin, un corps de l’environnement dans l’administration pour qu’il s’assure de l’application intelligente des textes. J’engage l’élaboration d’une nouvelle Constitution, plus démocratique.
Lire aussi Écologie – Cinquante nuances de vert
La seule mesure qui vaille n’est-elle pas de mettre un écolo à la tête de Bercy ?
Je ne suis pas convaincu que l’argent soit le nerf de la guerre. Certes, il faut investir dans la mobilité écologique, ce qui demande des moyens financiers, mais, pour l’essentiel, ce sont des décisions réglementaires et une bonne application des réglementations qui sont nécessaires. Cela demande du courage, alimenté par une volonté orientée dans ce sens.
Une de mes inquiétudes du moment est le développement de l’e-consommation, incarnée par Amazon. Des entrepôts géants qui consomment de l’espace agricole, génèrent un trafic de camions et servent une économie déterritorialisée qui va contribuer un peu plus à la mort du commerce de centre-ville sont programmés dans toute la France. Le président de la République a annoncé l’arrêt de l’extension de l’urbanisation. Une fois de plus, sur le terrain, c’est le contraire qui se produit.
Soyez le premier à commenter